Trump, un catcheur à la Maison Blanche
Trump, un catcheur à la Maison Blanche
Dans un article paru en septembre 2015, le journaliste américain Judd Legum comparait Donald Trump, alors encore seulement candidat, à un catcheur, s’appuyant sur un texte de Roland Barthes. L’avenir lui a donné raison : Trump, sur le ring politique où, comme au catch, la vérité importe peu, est en effet devenu un champion incontesté. Rien d’étonnant alors à ce qu’on ait retrouvé « The Donald » littéralement sur le ring en 2007. Retour sur cet événement incongru, parsemé de corps huilés et de tondeuses électriques, qui en dit en vérité long sur Trump…
Battle of the Billionaires
Le catch est un sport-divertissement typiquement américain dont la
particularité est de mettre en scène des combats dont l’issue est déjà
prévue à l’avance par une équipe de scénaristes. Les affrontements sont
donc autant de chorégraphies répétées en coulisses, et les moments dans
le ring sont entrecoupés de joutes verbales. Aux États-Unis, la World
Wrestling Entertainment (WWE) est la compagnie indétrônable du genre, à
raison de plusieurs shows par semaine, fonctionnant comme une série, ou
plutôt comme une télé-réalité. Pas surprenant alors que Donald Trump, à
la tête pendant une décennie de l’ignoble et amoral The Apprentice (qui consistait grosso modo à voir le futur Président renvoyer des employés), soit passé par le catch.
En avril 2007, se tenait à Detroit Wrestlemania,
l’équivalent du Super Bowl pour le catch. Un stade de base-ball
réquisitionné, 80 000 spectateurs. Ce soir-là, parmi les autres combats,
Donald Trump participe à la Battle of the Billionaires (ça ne s’invente pas) contre Vince McMahon, le patron de la WWE. L’enjeu : savoir qui a la plus grosse (capacité financière). Le combat se joue par poulains interposés, le gagnant aura le droit de raser complètement l’autre milliardaire à la tondeuse. Spoiler : Trump ne perd pas, personne ne touche à ses cheveux, ne rêvez pas.
Mais qui représente donc nos milliardaires ? Au catch, les combats sont souvent l’occasion de mettre en scène et de purger les passions du public américain.
Aussi, les « bad guys » représentent-ils souvent les « ennemis » de
l’Amérique : pendant la Guerre Froide, les méchants étaient ainsi tantôt
Russes tantôt Iraniens (il y eût même des méchants catcheurs français
après le refus de la France de suivre les USA dans leur croisade
irakienne, ce qui avait enclenché une sérieuse campagne de
« french-shaming » ). On aurait pu se délecter d’une ironie rétroactive
si l’adversaire du poulain de Trump avait été Mexicain ce soir-là, mais
non : dans le coin de Vince McMahon, on retrouvait Umaga, « sauvage des
îles Samoa » (non, le catch ne véhicule pas du tout de clichés racistes,
pensez donc…). Trump hérite lui de Bobby Lashley, censé être un
ex-soldat bodybuildé. America first.
La
suite coule de source : l’Américain bat l’Étranger, les cheveux de
Trump sont saufs et on assiste à une scène extrêmement gênante de
« tonte » de Vince McMahon (la vidéo est en fin d’article). A la fin de
toute cette mascarade, Donald Trump accepte néanmoins de se prendre une
prise, pour de faux évidemment, par le très populaire Steve Austin, qui
arbitrait le match.
Voilà, le 45ème Président des USA, mesdames et messieurs, le premier a avoir été faussement fracassé devant 80 000 personnes. Tout ça, bien entendu, participe d’une gigantesque opération de communication de la marque Trump. La Battle of the Billionaires
est surtout une preuve de plus de la connivence du « Président du
peuple » avec l’élite économique états-unienne. Vince McMahon est en
réalité un grand ami, et Trump a d’ailleurs nommé Linda McMahon, épouse
de, à l’agence de soutien aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) en
décembre dernier. Entre temps, Trump est apparu plusieurs fois lors des
shows de la WWE, au point de se faire introduire dans le « WWE Hall of
Fame » en 2013, normalement réservé aux athlètes.
« Wrestling » Trump ou l’action frénétique
Mais Trump est, justement, un catcheur. Et il a mené sa campagne comme une émission de la WWE, un Wrestlemania politique permanent.
Il a désigné ses adversaires avec la même simplicité et le même
manichéisme qu’on utilise pour créer un profil de « méchant » au catch.
Le Mexicain, le Chinois, le Musulman, le Journaliste. Une étiquette
simple pour des idées simplistes. Mme Clinton est même devenue, le temps
de quelques meetings, « Crooked Hillary » (Hillary la véreuse,
littéralement), comme on affuble de surnoms les stars du catch. Il a
exploité à fond sa « gimmick » (rôle) de golden boy proche du peuple et
patriote, une recette qui ne pouvait que réussir.
Plus encore, il a appliqué l’essence même du catch à sa campagne : l’action frénétique, pour maintenir l’excitation et la passion. Citant Mythologies (1957) de R. Barthes, Legum écrit « un fan de catch est moins intéressé par ce qui arrive que par le fait que quelque chose arrive. Trump l’a bien compris. ». Trump a été omniprésent au point que l’information battait au rythme qu’il lui dictait. Il intervenait partout, « par téléphone quand il ne peut pas être devant la caméra et lorsqu’il n’est pas à la télé ». Comme
au catch, qu’importe que tout soit faux (bienvenue dans l’ère des
« faits alternatifs »), tant que le spectacle est garanti, que la foule
est divertie, que les punchlines sont acérées.
Le
catch est un spectacle, la campagne américaine l’est devenue (Obama
ayant d’ailleurs pavé la voie, marketant son nom et sa marque « Yes We Can », associant des stars comme Beyoncé à son image de candidat). Trump est l’enfant de ce spectacle et sa victoire est en ce sens la suite logique de l’évolution de la vie électorale occidentale.
Maintenant,
The Donald, catcheur milliardaire de son état, est à la Maison Blanche.
Il entre dans une nouvelle dynamique, celle du pouvoir, le vrai, celui
qui implique, au-delà des mensonges, des prises de responsabilités et
des conséquences concrètes, immédiatement vérifiables. Mais, par la
nature même de sa campagne, Trump s’est rendu addict, plus que jamais, au régime des passions.
Alors qu’il est le Président le plus impopulaire jamais arrivé dans le
Bureau ovale, que des émeutes inédites ont entaché son investiture,
Trump doit pouvoir contenter sa base de supporteurs, au risque de se
retrouver détesté par tous. Or, comment ne pas décevoir un électorat qui
s’est habitué au show permanent ? La réalité du pouvoir devrait
l’empêcher de tenir un rythme aussi effréné, et tôt ou tard, lorsqu’il
n’aura plus le temps d’agiter les bras sur toutes les télés et les
réseaux sociaux, l’exigence de vérité reviendra. Quand le show
de catch se termine, les spectateurs sortent de la frénésie induite par
le divertissement, se rappellent que tout était faux.
Les
premiers jours de Donald Trump Président semblent montrer qu’il prend
le pari de maintenir son rythme de campagne. Retrait de la version
espagnole du site de la Maison Blanche, suppression des références au
réchauffement climatique et aux LGBT sur ce même site, décret
interdisant le financement d’ONG internationales pro-avortement, retrait
du traité trans-pacifique (TPP), relance du projet de pipeline au
Dakota (dont nous vous parlions ici). Trump n’a pas chaumé, et est resté omniprésent dans les médias. Mais jusqu’à quand tiendra-t-il sur le ring ?
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Posted By Abayomi Ismail
source:http://lvsl.fr
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